Une autre dame plus toute
jeune, mais au regard
redoutable. Tout en se
laissant dessiner
sans trop bouger,
elle ne cessait de
faire des
commentaires
sarcastiques qui
faisaient rire ses
copines, je ne
comprenais rien
mais je me
sentais rougir, ce
qui en disait long
sur la
conversation,
genre : “Le
merdeux, le petit
blanc, là, je le
mange tout cru
quand je
veux…!”
Les matins d’hiver, les anciens quittent leur
maison pour venir s’asseoir à l’Est du village et
profiter des premiers rayons du soleil.
Ce vieillard ne m’a pas accordé un regard
tandis que je le dessinais, accroupi à
quelques mètres. Je lui ai montré le
croquis, comme je le faisais toujours
par courtoisie. Impassible, d’un
geste tranchant de la main il m’a
congédié.
Il avait forcément connu les troubles
de la décolonisation. Des raids de
l’Armée française, il avait dû en
vivre quelques-uns. Voir débarquer
brutalement les camions militaires
et leur cargaison de jeunes blancs,
même équipés de fausses
mitraillettes, ne devait pas lui faire
spécialement plaisir. Le tournage,
certes motivé par des idées de
gauche, notre irruption dans son
village pour des scènes de
carnage et de pillage étaient juste
une agression supplémentaire
dans sa vie.
Du passé colonial il n’avait
gardé que les souliers,
entretenus avec soin,
déformés, attendrissants
presque.
J’étais un figurant de dernier, vraiment dernier rang. On ne m’y voit que quelques secondes, alors que j’ai passé
deux mois à Gafsa, Tunisie, pour les extérieurs… C’est dire que l’attente et l’ennui font partie de l’expérience, et
pas seulement la mienne. Tout le groupe dit des “quinze”, qui servait de toile de fond humaine aux aventures de
Messieurs Jacques Weber, Spiesser et Villeret (et l’inoubliable Jean-François Balmer) avait assez peu de scènes
à tourner, et donc on passait son temps à passer le temps…
Mon copain Jean-Louis, qui m’avait fait signe pour être sur ce coup : “Une
balade d’hiver en Tunisie, ça te dit ?”
Franchement oui.
Il avait joué quelques rôles dans des feuilletons télévisés. Belle gueule de
voyou classieux, mais le créneau était déjà très occupé par Delon…
J’ai vécu grâce à lui une belle aventure, humaine et visuelle, dans des
paysages à la Lawrence d’Arabie. Sauf que je ne m’intéressais pas encore au
désert. Dommage. Aujourd’hui, alors que c’est inaccessible, j’en profiterais
mieux.
Sur le tournage de RAS, film d’Yves Boisset, en 72…
Les dessins sont un mix de mes croquis et
de ma mémoire des scènes que j’ai
croquées. Et ma mémoire fait un peu ce
qu’elle veut.
Petite fille à Chbika, dessin repris à partir d’un
croquis, mélangé à mes souvenirs : la couleur
de sa jupe, ses yeux clairs.
Dans ce village que nous étions censés
attaquer pour le tournage, nous réveillions,
pour les anciens, des traumatismes de la
colonisation. Seuls quelques-uns étaient au
courant de notre venue.
Quand nous avons débarqué dans les camions
de l’armée, des femmes se sont mises à hurler,
instant imprévu et magique pour l’équipe de
tournage.
Les enfants en revanche étaient très
intéressés. Une fois la poussière retombée et
les prises de vue en cours, je me suis écarté
avec mon carnet de croquis, à la recherche
d’images. Et la petite, curieuse, cinq ou six ans,
est venue vers moi d’elle-même, je lui ai
demandé par signes si je pouvais la dessiner,
elle s’est prêtée au jeu, immobile, petit sourire
crispé, les mains fébriles, ses petits pieds rosis
de froid.
A la fin je lui ai montré le dessin, et comme
souvent j’étais gêné de partir avec, de ne pas
le lui donner.
Comme le vieillard et pour les
mêmes raisons, cette aïeule
profitait du soleil du matin,
assise contre un mur. Elle
s’est laissé dessiner sans un
mouvement, les yeux
baissés, magnifiques et
terriblement tristes. Je ne
me souviens plus des
couleurs de ses habits,
mais il y avait beaucoup de
drapés, c’était beau et
compliqué, et mon croquis
initial ne lui rendait pas
justice.