Julie, toute jeune, 25 ans max, vivait à ou autour de Chang Maï depuis un ou deux ans et connaissait la région comme sa poche. Elle était au milieu d’un groupe de backpackers français dont elle était la leader inconsciente. Peu importe ce qu’elle décidait de faire, ils lui emboîtaient le pas. Nous sommes tombés sur la bande au moment où ils préparaient leur embarquement sur le Mékong, comme nous. Le bateau --voir plus bas-- est une longue barge (Long Boat) de 30m par 4 environ, gros moteur diesel marine capable d’emmener une cinquantaine de passagers, plus la famille du maître de bord. Bateau couvert, on est pieds nus sur le plancher, bières à volonté, peut-être plus que de gasole pour le moteur. Notre idée était de descendre le fleuve jusqu’à Louang Prabang au Laos, puis de prendre un avion vers le Sud. Celle du groupe était d’aller y passer quelque temps à faire la fête. On s’arrête dans un village le long du fleuve, dans une auberge à étages comme on l’imagine dans les films de samouraï : haute et étroite, toute de bois, sonore comme une guitare, peuplée de chats minces au poil bien lustré. La douche, un quart de bidon en plastique qu’on renverse sur sa tête. Là c’est à bord du bateau, le lendemain, Julie est encore bourrée de la veille, comme tous ses copains, musique, et elle arrive à danser assise, c’est spectaculaire et sympa. Tout ce monde discute ou chante à très haute voix et ça n’a évidemment aucun sens, et je suis gêné vis-à-vis des Thaïs et Laotiens à bord, si discrets.
Toujours fasciné par les pieds des gens (je déteste les miens), comme ils ont tous laissé leurs pompes dans un coffre à l’avant, j’ai de quoi faire. Ci-dessous, lors d’un long entretien entre le Jules du jour de Julie, un black genre Rasta, ici à gauche. Jamais vu des pieds aussi laids, larges, curieusement déformés (mais pas du tout infirmes, hein) et qu’il a eu l’idée discutable de tatouer à partir du mollet. A sa droite, le pied délicat d’un garçon manifestement très civilisé, fraîchement débarqué de France, encore bien blanc, peu habitué au déplacement sans chaussures sur la terre et les graviers. Mais bon ils s’entendaient bien.
Eh oui, elle est jolie cette petite Américaine. Mais en quelques heures de navigation sur le fleuve vert et tranquille, elle s’est révélée une vraie chieuse, parlant haut, décidée à attirer sur elle l’attention des garçons trop fascinés par la folie paisible de Julie. Enfin elle a pris sa tablette pour y consigner sans doute quelques impressions de voyage, et j’ai pu la croquer directement. Mais sa gestuelle indique qu’elle voulait être regardée.