Cette gouache datée de 1977 est une commande d'Absolu, magazine érotique chic (concurrent de Lui pendant un temps) qui avait appartenu à Claude François avant d'être vendu à une succession d'investisseurs de tous bords. J'étais pigiste pour eux pendant des années, et j'avais commencé quand le journal était encore propriété du chanteur, que j'ai croisé plusieurs fois dans les escaliers de l'hôtel particulier du Boulevard Exelmans, qui abritait les rédactions aussi de Podium et d'un ou deux autres magazines de rock-folk. Quand j'allais livrer mes dessins j'étais toujours étonné de devoir me frayer un passage à travers les dizaines de groupies énamourées accumulées sur le trottoir devant la porte. Elles restaient là des heures, à espérer apercevoir leur idole, même de loin.

Quant à moi chaque fois que le magazine changeait de main il fallait que je refasse le parcours du combattant auprès du nouveau directeur artistique, à exhiber mon portfolio pour montrer que j'étais capable de faire partie de l'équipe des illustrateurs qui allaient travailler pour la "nouvelle formule".

Ces deux commandes étaient intéressantes, et pas seulement au plan financier; il s'agissait d'illustrer un article sur deux mois, à propos des jeux de société et de la manière dont ils révélaient, par les associations qu'y faisait le joueur, les traits de sa personnalité. Je m'étais amusé à illustrer les associations qui me venaient à l'esprit...

La seconde partie de l'article expliquait comment la Joconde était une carte dans un jeu très à la mode à l'époque, et comment on pouvait l'associer à toutes sortes de situations... C'était une belle ouverture où je me suis engouffré.

Les deux illustrations sont des gouaches sur carton. Pour la Joconde muette j'ai dû prendre des photos dans le métro et acheter quelques revues d'art. Ensuite --pas de Photoshop en ce temps-là-- j'ai lentement, laborieusement reconstitué tous les éléments, drapé de vêtement et autres, jusqu'à obtenir ce que je voulais.

 

J'étais fier de ma muette, et du coup je l'ai isolée...  
 

Ça c'est ce qu'on appelle en jargon de métier un starter, un cabochon, une toute petite illustration pour un article bref, destinée à donner du rythme à une page qui serait rébarbative autrement. Ici il s'agissait du Casanova de Fellini. Dessiner Sutherland était un vrai défi, tant ses traits étaient réguliers, presque inexpressifs. Il fallait aussi peu de touches que possible dans le dessin. Le personnage à droite, et la femme sur la gauche étaient reposants par contraste, avec des méplats beaucoup plus accusés, plus vieux et ridés.

Travail difficile, et j'ai finalement compris que le contraste évidemment était voulu par le Maître, pour mettre en relief l'incroyable vitalité du héros, et peut-être sa totale impavidité.

 

 

 

Ça c'était plus facile, et plus rigolo à faire. Xaviera Hollander --la dame ici représentée-- était la première tenancière de bordel qui fit un malheur éditorial en écrivant ses mémoires. Comme c'était contemporain de la sortie d'Orange Mécanique, avec le fameux poster montrant Malcolm McDowell maquillé en punk et brandissant un couteau immense, le pastiche s'imposait. Il n'y avait pas de violence dans les récits de Hollander. Juste du cul.

Coïncidence, je faisais quelquefois des traductions pour les éditions Lattès, et il se trouve que j'ai traduit (en tout ou partie je ne sais plus très bien) par la suite l'un des ses romans intitulé Paris-Saint-Tropez. Le monde est petit.

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Aaaah, notre B.B. nationale.

En 76 les magazines (pas encore people mais le concept était déjà en route) en faisaient des gorges chaudes : Brigitte avait osé vendre (cher) son image à des publicitaires pour vanter les charmes d'une célèbre marque de pantalons, en Elastiss, très collants aux fesses et pattes d'éph sur les pieds. Ouaaouh.

Evidemment Absolu s'était joint au choeur, quoique avec une certaine distance ironique, et on m'avait demandé d'illustrer le thème, tâche ardue. J'ai trouvé un reportage de charme avec des photos d'elle à Saint Tropez dans des tenues peu couvrantes, qui ont servi de base à mon travail. Problème, j'aboutissais toujours à une Brigitte naine, sans allure, sans rien de la grâce fluide qui caractérisait son corps de danseuse. C'est là que j'ai compris que lorsqu'on se sert de photos, il faut allonger les jambes de la silhouette, sinon ça ne ressemble à rien. Maintenant cela se fait d'un geste à la souris...

Les marquages au crayon sont éditoriaux.